La petite Maria da Conceição, en couverture du catalogue de l'exposition Pour une vie meilleure. |
Gérald Bloncourt, le photographe qui a immortalisé l’émigration portugaise en France dans les années 60 et 70, notamment dans les bidonvilles, est décédé aujourd’hui à l’âge de 92 ans. Gérald Bloncourt s’est intéressé aux bairros de lata portugais, mais il a également fait des images du voyage clandestin a salto vers la France, ainsi que des photos du Portugal sous la dictature et après le 25 avril. Né en 1926 en Haiti, il en sera expulsé en 1940 pour des raisons politiques et s’installera à Paris, où il débutera une carrière de photojournaliste, qui le conduira au contact des Portugais dans les bidonvilles de la banlieue parisienne. « C’était une forme d’esclavage moderne. Il y avait de la boue en hiver, il faisait froid. C’était des baraques faites avec des planches, des morceaux de taule. C’était une vie difficile, très rude. Les hommes travaillaient dans le bâtiment, les femmes gardaient les enfants », avait déclaré le photographe en 2015 à l’agence Lusa. Son premier bidonville a été celui de Champigny, mais l’abordage ne fut pas facile : « quatre portugais m’aperçurent et m’ont attrapé. Ils pensaient que j’étais un policier. Ils m’ont enfermé dans une cabane. Il y avait beaucoup de boue dehors, mais dedans c’était propre et on devait enlever les chaussures ». Pendant que le photographe attendait, « les Portugais sont allés chercher le chef. Quand il est arrivé, il m’a demandé ce que je faisais ici. Je le connaissais, c’était un militant syndicaliste de Renault et il était le chef du bidonville. Nous nous sommes embrassés et nous avons vidé une bouteille de Porto, ensuite j’ai pu m’en aller ». Ces récits qu’on lui faisait dans les bidonvilles lui donneront envie de découvrir le Portugal et de photographier les chemins clandestins de ceux qui tentaient de fuir la dictature, dans un voyage devenu célèbre sous le nom de O Salto ». « J’ai connu des résistants sous Salazar et – comme moi-même j’ai été résistant sous la dictature de mon pays – j’ai voulu m’y rendre. Je suis allé au Portugal, j’ai fait toute la route de l’émigration, de Lisbonne, Porto, Chaves… J’ai même été détenu par la PIDE une fois. J’avais mis des pellicules pour eux dans ma valise et ils les ont trouvées. Mais j’en avais aussi placé des plus précieuses dans le dos dans une paire de bas et j’ai réussi à les sauver », avait raconté Gérald Bloncourt plein de nostalgie. Quelques années plus tard, il reviendra au Portugal, la veille du 1er mai 1974, pour « essayer de faire quelques photos » face « à plus d’un million de personnes avec des œillets et un peuple qui laissait éclater sa joie ». Avec des archives de plus de 200 000 images, Bloncourt n’a été contacté que par peu de protagonistes de ces années de boue, s’étant reconnus sur les photos, comme Maria da Conceição, qui est venue voir le photographe 47 ans après avoir été immortalisée avec une poupée dans les bras dans le bidonville de Saint-Denis, une image qui a servi d’affiche à l’exposition Pour une vie meilleure, au Musée Berardo. « Quand elle est arrivée, j’ai eu devant moi un demi-siècle de mémoires. J’ai vu ma petite Maria qui était là. J’ai été émerveillé car elle n’avait pas changé. Son regard était le même que celui de la photographie d’enfant et son sourire aussi. Nous nous sommes embrassés, nous avons pleuré, ce fut très émouvant », avait-il rappelé. |