Milton Hatoum présente A noite da espera. |
L’écrivain brésilien Milton Hatoum considère que, « dans ces élections, le Brésil a révélé son côté le plus ignorant et le plus pervers », en parlant de son nouveau roman, A noite da espera, qui évoque la dictature brésilienne et qui présente des ressemblances avec l’actualité. A noite da espera, lancé à présent au Portugal par la Companhia das Letras, a commencé à être écrit en 2007, lorsque « Lula était le grand président du moment ». Ont suivi deux autres volumes – il s’agit d’une trilogie intitulée O lugar mais sombrio – et, au total, Milton Hatoum a passé près de 10 ans à travailler sur ce projet. « Je ne savais pas que le Brésil allait devenir cette horreur, parce que c’est une horreur ce qu'il se passe dans mon pays, je n’ai pas un autre mot pour nommer cette ascension de l’ultra-conservatisme et parfois même du fascisme, qui est en certains ministres. Le Brésil, dans ces élections, a révélé son côté le plus ignorant et le plus pervers, le plus cruel », a déclaré l’écrivain au cours d’un entretien à l’agence Lusa, se référant aux élections d’octobre 2018, où Jair Bolsonaro a été élu. Milton Hatoum se dit préoccupé par l’actuelle vie politique au Brésil, parce qu’il ne s’agit pas à peine d’une menace, « il y a de fait une persécution des intellectuels, mais surtout des minorités : les femmes, les Noirs, les homosexuels, qui sont agressés tous les jours. J’ai des amis qui ont dû partir, des homosexuels, ceux qui ont pu sortir, s’ils ne sont pas encore partis, ils vont le faire. « Le roman, dans le fond, parle de ce Brésil. Le livre, parfois, est plus visionnaire que l’écrivain. Jamais je n’aurais pensé en 2008, en 2010, en 2012, que le Brésil changerait tant en pire », déclare Milton Hatoum. « C’est un gouvernement qui a un noyau de droite très conservatrice, qui est le ministre de la Justice et le ministre de l’Economie, et a un noyau d’extrême droite qui est le propre Bolsonaro et certains ministres – ceux de l’Education et des Affaires étrangères, qui est un fou… Ils sont délirants, croient que la terre est plate, ça semble une blague, une chose d’un autre monde, du XIIIe siècle, c’est inquiétant. Croire que la terre est plate ? L’autre, la ministre des Femmes, elle a vu le Christ dans un goyavier, quand elle avait 10 ou 11 ans. Ce sont des personnes stupides », poursuit l’écrivain. Mais c’est au ministre des Affaires étrangères que Milton Hatoum en veut le plus, rappelant combien d’intellectuels, de poètes, sont passés par l’Itamaraty : Vinicius de Morais, João Cabral de Melo Neto, João Guimarães Rosa… « Il y a de grands penseurs, des historiens, et lui [le président], il choisi les scories, ce qu’il y a de plus absurde, il choisit un amer, un médiocre comme chanceler, un homme [Ernesto Araújo] qui dit que le marxisme culturel est une menace, que l’Europe est un vide culturel. C’est ainsi qu’il s’exprime. Le président est un homme vulgaire, un homme qui en fait ne parvient pas à parler durant cinq minutes, il n’arrive pas à raisonner, je trouve. Et ces Brésiliens ont élu ce gouvernement », s’est-il lamenté, bien que gardant confiance en l’apparition de mouvements de « résistance et opposition », qui ont déjà commencé à être « considérables ». Selon l’écrivain, ce qu'il se passe au Brésil peut s’expliquer par l’héritage de 25 années de dictature : « tout pays qui passe par une dictature souffre de graves conséquences, parce qu’il crée une sorte d’ankylose mentale, des parasites politiques, des personnes qui ne savent plus penser, réfléchir, débattre, le manque de pratique du débat est nocif à la démocratie ». A l’avant-garde de l’opposition, affirme-t-il, se trouvent les artistes, « les musiciens, les cinéastes, les metteurs en scène, les réalisateurs ». L’écrivain rappelle notamment comment Wagner Moura a durement critiqué Bolsonaro au festival de cinéma de Berlin, lors de la présentation de Marighella, un film sur Carlos Marighella, l’écrivain guérillero, opposant à la dictature qui a été assassiné à São Paulo en 1969 – et qui est également évoqué dans A Noite da espera – « une figure emblématique, connue de tous ceux qui étaient engagés dans les mouvements d’étudiants ». « Wagner Moura, les acteurs, les actrices, les musiciens, sont très mobilisés. Les écrivains aussi, les poètes, les professeurs, les intellectuels… mais nous n’avons pas la même portée qu’ont Chico Buarque, Caetano Veloso, Gilbeto Gil, Maria Bethânia, Gal Costa, Milton Nascimento. Ils touchent un public très grand », déclare Hatoum. Cette réalité découle de la position difficile de l’écrivain au Brésil, un pays aux taux de lecture très bas – malgré les dizaines de festivals littéraires qu’on y organise –, parce qu’on ne s’y intéresse pas, ou parce que quand on s’y intéresse on n’a pas l’argent pour acheter un livre. Ce sont des temps différents de ceux évoqués dans A noite da espera, lorsqu’on avait beaucoup plus de disponibilité mentale pour la lecture, et les écrivains brésiliens, nord-américains et européens étaient des références et une inspiration. L’un des plus cités est l’hétéronyme pessoen Álvaro de Campos, également le favori de Milton Hatoum, qui a découvert le poète par l’intermédiaire d’un diplomate, qui est l’un des personnages du roman, l’ambassadeur Faisão. « Il a été une sorte de formateur intellectuel de notre groupe. Il possédait une bibliothèque fabuleuse, parlait bien l’anglais, le français, l’allemand, l’italien, il avait des livres du monde entier. Sa maison était un refuge où l’on allait l’écouter parler de littérature et de théâtre. Fernando Pessoa était l’un de ses poètes préférés et c’est ainsi que j’ai commencé à le lire ». Quant au futur, l’écrivain a déjà quelques idées : « ce moment que nous vivons est si effrayant, que j’ai déjà pensé écrire quelque chose à ce propos, sur les riches du Brésil ». |