Mozambique : le massacre de Wiriyamu

Vinte Pacanet Gandar, un survivant de Wiriyamu, sur les lieux du drame. Photo António Silva/Lusa.
Carlos Alciano évoque avec ses élèves le massacre de Wiriyamu. Photo António Silva/Lusa.
Dans un reportage de la SIC de 1997, 25 ans après les faits, António Melo, l'ex-commandant de la 6e Compagnie de Commandos, s'est rendu au Mozambique pour demander pardon aux survivants.
António Melo face aux survivants du massacre. Photo reportage SIC, 1997.
Un survivant montre à António Melo les traces des balles qu'il a reçues. Photo reportage SIC, 1997.
Vasco Tenente, survivant, ne parvient pas à cacher toute la colère qu'il éprouve encore pour les assassins de sa famille. Photo reportage SIC, 1997.
Crea, était une petite fille à l'époque des faits, elle s'était accrochée aux jambes d'António Melo et l'avait supplié de l'épargner. Elle et sa mère ont échappé au carnage. Lors du reportage de la SIC, 25 ans après, elle a rencontré le militaire.
Baúque, ancien membre de la sinistre 6e Compagnie de Commandos, témoigne également dans le reportage de la SIC.
Parmi les taches indélébiles du colonialisme portugais en Afrique, il y a le massacre de Wiriyamu : le 16 décembre 1972, près de 500 personnes, hommes, femmes, vieillards et enfants ont été abattus dans des conditions effroyables par des troupes spéciales de l'armée portugaise. Un événement qui, selon les historiens, aura changé le cours de la guerre coloniale.
 
Intitulée Marosca, cette opération, décidée après la mort de plusieurs soldats portugais dans la région, avait pour objectif de priver les troupes de libération du Frelimo [Front de Libération du Mozambique] du soutien de la population locale. Le gouvernement portugais de l'époque a tout fait pour empêcher la fuite de l'information, y compris, sans doute, en essayant d'éliminer les militaires(1) qui y avaient participé. Ce triste épisode du colonialisme portugais reste entouré d'un certain mystère car, bien que les récits soient nombreux, ils ne coïncident pas toujours.
 
"Il continue d'être difficile de vérifier avec précision les événements du 16 décembre 1972 [...]. Et cela parce que les autorités portugaises, avant et après le coup d'Etat du 25 Avril 1974, n'ont pas autorisé une enquête indépendante à l'Operação Marosca", écrivent les chercheurs portugais Bruno C. Reis et Pedro A. Oliveira dans un article publié en mars 2012 dans la revue Civil Wars, intitulé Cutting Heads and Winning Hearts : Late Cononial Portuguese Counterinsurgency and the Wiriyamu Massacre of 1972.
 
A peine un petit panneau, presque caché sur le bord de la route nationale 7, à la sortie de Tete, indique la direction de Wiriyamu, la scène de l'un des plus grands massacres perpétrés dans la província portugaise de l'époque et qui aura accéléré la fin des guerres coloniales que le Portugal menait en Afrique.
 
Dans le petit village, un monument, contenant des ossements, évoque la tragédie qui a eu lieu à Wiriyamu, à Juwau et à Chawola, des villages proches du fleuve Zambeze et de la rivière Luena. Mais le jeune Carrilho, 12 ans, qui passe à vélo tout près, ignore ce qui s'est passé et qui en est responsable.
 
Le directeur de l'école primaire, Carlos Alciano, 40 ans, assure que le massacre fait partie du programme d'enseignement et que des visites au monument sont faites avec une certaine fréquence.
 
"Ils doivent savoir quand a eu lieu le massacre, qui l'a commis, combien de personnes sont mortes", dit-il. Mais le nombre de victimes varie : "400" selon les prêtres espagnols de Burgos, les premiers à avoir dénoncé l'horreur ; "près de 200", pour le médecin Rodrigues dos Santos(2), qui s'était rendu sur place peu de temps après les événements sanglants ; "63" ou "98", selon les autorités portugaises de l'époque ; ou "450" évoqués sur le monument de Wiriyamu.
 
Indépendamment du nombre de victimes, l'Opération Marosca a donné lieu à un massacre, "l'occurrence de crimes, parfois extrêmement cruels, des exécutions de civils désarmés, en grand nombre", affirment les deux chercheurs portugais.
 
Bruno Reis et Pedro Oliveira expliquent qu'on peut qualifier cela de "tuerie indiscriminée", puisque personne n'a été épargné, mais aussi son contraire car l'opération avait pour cible ce qui était considéré comme les bases du Frelimo camouflées en villages civils et que les militaires portugais se basaient sur des informations apparemment fausses de la PIDE/DGS.
 
"Ceci, en aucune manière, ne réduit la criminalité de ces morts mais, simplement, élargit la responsabilité au-delà des soldats individuellement et de leurs commandants", ajoutent les deux historiens.
 
A cette opération sont associés le commandant militaire du Mozambique de l'époque, Kaúlza de Arriaga, et son concept de lutte antiguérilla, engageant d'importants moyens aériens et des troupes spéciales, ainsi que l'agent de la PIDE/DGS, Chico Kachavi, un Mozambicain craint de ses concitoyens.
 
"C'est lui qui commandait ce jour-là, et ne voulait pas savoir si tel ou tel autre était africain. Son cœur était européen", rappelle Vinte Pacanet Gandar, 63 ans, l'un des rares survivants du massacre, qui ajoute que l'agent de la PIDE/DGS a été tué plus tard par des membres du Frelimo.
 
Il y a une quinzaines d'années, la chaîne SIC a fait un reportage, réalisé par Felícia Cabrita et Paulo Camacho, sur les lieux du drame avec António Melo, l'ex-commandant de la 6e Compagnie de Commandos, les bouchers de Wiriyamu. Il visite les lieux où il a séjourné, se rend à Wiriyamu où il rencontre des survivants. Il explique qui il est et demande pardon pour ce qu'il a fait. Il raconte comment les choses se sont passées, dit ne pas avoir vu tout ce qui a été dit sur cette effroyable journée mais n'exclut pas que cela ait pu se produire, n'ayant pas été présent sur l'ensemble de la scène du crime. Face à lui, des rescapés expliquent ce qu'ils ont enduré, certains disent ne pas avoir de rancœur, comprenant à quelles extrémités la guerre peut conduire certains hommes. D'autres, ont eu du mal à cacher une haine bien compréhensible, notamment Vaso Tenente, qui à l'époque n'était qu'un enfant, et dont l'expression du visage en dit bien davantage que ses mots... (on peut voir ce reportage en plusieurs parties sur le site http://massacredewiriyamu.blogspot.fr).
 
Le rôle central de Chico Kachavi a déjà été évoqué mais il est important de souligner que cette compagnie était composé de plusieurs militaires Mozambicains qui ont tous participé au massacre, ce qui donne la mesure de l'aveuglement et de l'absence de raisonnement auxquels peut conduire l'embrigadement, le conditionnement de militaires dressés pour tuer.
 
"Cela nous oblige à mettre en perspective une partie de la rhétorique qui célèbre le caractère singulier du colonialisme portugais, supposément plus tolérant, et dont on trouve encore écho dans certains secteurs de la société portugaise", déclare Pedro Oliveira à l'Agência Lusa.
 
Cet épisode "des plus terribles de la guerre coloniale" reste peu connu des Portugais, malgré l'impact international qu'il a eu à l'époque et le fait d'être souvent comparé au "carnage de My Lay" commis par des militaires nord-américains au Viêt Nam.
 
Pedro Oliveira considère que Wiriyamu a consolidé "une tendance de fond qui se dessinait" sur les fronts de la guerre : celle des militaires qui craignaient d'expier pour ce type d'atrocités, "qui avaient tendance à se répéter", et la dénonciation internationale et celles de personnalités liées à l'Eglise Catholique.
 
 

(1) Dans un reportage de la SIC de 1997, l'ex-commandant de 6e Compagnie de Commandos, António Melo, explique que quelques temps après le massacre, il est envoyé avec ses hommes dans le village pour enterrer les morts et enlever toutes les traces compromettantes. On leur explique qu'il n'est pas nécessaire d'y aller armés et que les hélicoptères reviendront les chercher dès que tout aura été nettoyé. En fin de journée, aucun hélicoptère en vue, les commandos se mettent en marche et tombent dans une embuscade. Heureusement pour eux, ils étaient venus armés, malgré la suggestion de leurs supérieurs. António Melo est catégorique quant aux auteurs de l'embuscade, elle n'avait rien à voir avec celles qu'il avait connues auparavant, celles des guérilleros, qui frappaient et fuyaient. Selon lui, elle n'avait pas pour objectif d'éliminer des témoins mais de faire des victimes portugaises pour justifier le massacre.

(2) Le père du journaliste José Rodrigues dos Santos de la RTP, qui a écrit un roman où cet événement est évoqué.