A Wiriyamu, 45 ans après, rien n'a changé

Vinte Pacanet Gandar, survivant du massacre de Wiriyamu, raconte les événements du 16 décembre 1972. Photo António Silva/Lusa.
Vinte Pacanet Gandar et Luís Wiriyamu, le petit-fils de l'homme qui a donné son nom au village, sur les lieux du drame. Photo António Silva/Lusa.
Des enfants de l'école du village viennent régulièrement près du monument aux victimes du massacre avec leur professeur. Photo António Silva/Lusa.
Une jeune fille porte un fagot sur la tête pour alimenter le feu où les femmes du village préparent le déjeuner. Photo António Silva/Lusa.
A Wiriyamu, 40 après le massacre perpétré par l'armée portugaise, peu de choses ont changé au quotidien pour les habitants : toujours pas d'électricité ni d'eau et la ville la plus proche, Tete, à 30 km, est reliée uniquement par un chemin de terre battue.
 
"Et la faim existe aussi", déclare à l'Agência Lusa Vinte Pacanet Gandar, 63 ans, un paysan du village qui a survécu au massacre du 16 décembre 1972.
 
La presque continuelle sécheresse dans le centre du pays affecte la production de mapira (1) et d'arachides, que chacun cultive pour sa propre consommation, et le peu d'argent, les rares pièces qu'ils utilisent pour acheter de l'huile ou des semences s'obtiennent par la vente de charbon en ville.
 
Luís Wiriyamu, 27 ans, le petit-fils de l'homme qui a donné son nom au village, ramasse du bois pour en faire du charbon qu'il vend sur le bord de la route.
 
"Il n'y a rien d'autre à faire ici", se plaint-il.
 
L'école primaire, un panneau solaire sur un petit magasin et les camions d'une entreprise minière australienne se détachent dans le paysage de maisons aux murs de terre et aux toits de chaume que relient des sentiers de terre, des baobabs, le maquis où des jeunes filles portent des fagots sur la tête pour alimenter le feu sur lequel les femmes du village préparent le déjeuner.
 
Le statut de survivant a apporté la célébrité à Vinte, qui a élaboré un récit, presqu'une œuvre de longue haleine sur le massacre commis par les commandos portugais.
 
"Par surprise, cinq hélicoptères et deux jets sont apparus et ont commencé à bombarder autour du village. Ensuite, ils ont atterri pour faire descendre les soldats", raconte Vinte, qui à l'époque avait 23 ans.
 
L'Opération Marosca a été déclenchée à la suite de la mort de six soldats à Tete et de tirs contre un avion civil. Pour les chefs militaires cela signifiait que le Frelimo était dans le centre du pays et bénéficiait du soutien de la population locale.
 
"Ils ont encerclé notre village. Ils ont commencé à brûler les cases. Ont rassemblé les habitants et ont commencé à demander : Vous-là, vous connaissez les turras (2) ? Et nous leurs répondions : Non, nous ne les connaissons pas", continue Vinte.
 
Les commandements militaires successifs avaient envisagé de manière différente le "problème" du Frelimo et de la guerre de libération commencée en 1962, et, au début, limitée au Nord du pays. En 1969, Kaúlza de Arriaga innove avec l'emploi intensif de moyens aériens et de troupes spéciales, ce qui fragilise le Frelimo dans le Nord et l'oblige à se déplacer vers le centre, il y développe un front de guérilla et s'attaque même aux colons portugais.
 
"Mais ils ont répondu : Non, non, ici il y a des turras et vous leur donnez de la nourriture pour qu'ils viennent nous tuer, là, sur la route. Pour cela, vous allez tous mourir ici, aujourd'hui", poursuit Vinte, prêtant sa voix aux militaires portugais.
 
Depuis deux jours, les avions portugais survolaient la zone de Wiriyamu, Juwau et Chawola à la recherche d'une base du Frelimo d'environ 300 hommes.
 
Vinte a réussi à sauver sa vie en courant vers la forêt sous les balles des soldats mais sa famille a été décimée : "Mon père, Guspiga, mon grand-père, Jemusse, Mabalata, Manyate... ils sont nombreux... Tuma, Capitone... ils sont nombreux..."
 
Certains, blessés, ont trouvé refuge à l'hôpital de Tete où ils ont dénoncé le massacre à des missionnaires espagnols. Début 1973, la Croix Rouge et un médecin portugais visitent le village. En juin de la même année, le scandale éclate dans la presse internationale, et le Portugal, qui jusque-là avait nié les événements, finira par reconnaître des "excès" de ses troupes.
 
Deux années après que cet événement tragique ait fait la couverture du Times, le Mozambique devenait un pays indépendant.
 
 
(1) Céréale proche du blé qui constitue l'un des aliments de base de la population.
(2) Nom utilisé pour désigner les guérilleros.